Alors qu’Angie et les Sukeban reçoivent une alerte de soi échec sur leurs écrans, Regina est directement conduite ver, l’AW727 pour un retour au point zéro.
À bord du vaisseau en carbone Astra DR3B, muni récemment d’un réacteur quantique à pulsions immédiates, elles volent toutes à nouveau en direction de la Terre. Comme prévu par le Conseil, Regina doit être conduite dans la Forêt de la Mort, qui porte aussi le nom de Forêt de Werther. C’est dans cette forêt réputée maudite que sont envoyées les personnes considérées comme inaptes et impures à la Station, voire nuisibles à la société tout entière.
L’atmosphère est pesante, personne ne prononce un seul mot durant tout le voyage. Le teint pâle et les lèvres pincées, Angie semble fixer quelque chose par le hublot ; son équipement kaki et son casque de soldat la rendent plus masculine que jamais. Les sourcils froncés, elle réfléchit, s’interroge en plongeant les yeux dans le vide galactique, secouant la tête dès qu’une pensée négative lui envahit l’esprit.
Bouleversée, Regina s’agite à chaque secousse de l’appareil, regardant ses pieds, ne cessant de se plaindre et de marmonner des mots incompréhensibles que tout l’équipage ignore.
- Arrivée sur Terre prévue dans six mille mètres, préparez- vous à sauter au signal ! annonce Aurel-1A. Alors que gronde un vacarme assourdissant, l’appareil se met à trembler et dans les turbulences, une alarme et un énorme gyrophare vert se déclenchent.
- Nous sommes entrées dans l’atmosphère, annonce Angie.
11 faut y aller les filles… Attention… Maintenant !
I porte centrale s’ouvre, tandis que tout l’équipage assourdi sous la pression et le vent vérifie les attaches des parachutes et leurs masques – sauf Regina qui, figée par la peur, reste en retrait du groupe. Quand vient son tour de sauter, ses yeux se mettent à i ou 1er dans tous les sens.
Mais vas-y ! Ce n’est pas le moment de flipper, • exclament plusieurs filles surexcitées.
Alors que l’alarme tourne de plus en plus vite et retentit de plus en plus fort, Regina se met à pleurer, se bouche les oreilles regarde dans le vide sans pouvoir contenir ses tremblements, que les unes après les autres défilent sans répit.
(Quelqu’un finit par la pousser sans vergogne, qui l’absorbe d’un coup vers la Terre. En chute libre dm mil mille mètres, les Sukeban s’accrochent en triangle. Angie, quant à elle, a plongé directement vers Regina et s’est arrimée à son dos : elle la maintient fermement en sécurité. Puis, tentant de lu stabiliser, elle lui tend les deux bras. Enfin, après quelques cascades elles parviennent enfin à rattraper le reste de l’équipage.
Dans moins de cinq cents mètres, tout le monde se lâche et lue son parachute ! hurle Angie dans les oreillettes du groupe…. Un, deux, trois tirez !
En un déclic, les sacs s’ouvrent tels des coquelicots rouges l ms le ciel. Tout semble s’arrêter comme par magie : la pression, le vent, le stress. Elles planent dans une euphorie, qui gagne même Regina.
Il est 22 heures, le soleil est sur le point de se coucher sur cette magnifique plaine insulaire du sud du Japon. Dans une ambiance douce et tempérée, en suspension au-dessus de la nature déjà endormie, les Sukeban flottent au ralenti au-dessus de leur terre natale : un sentiment aussi puissant que nostalgique les saisit.
Regina a cessé de crier, admirant le spectacle, et oubliant presque la sentence qui lui a été infligée par le Conseil de TES369. Le groupe a prévu d’atterrir à trois kilomètres de la Montagne des Sept Merveilles, réputée pour ses rassemblements occultes depuis des millénaires, et à proximité de la Forêt de Werther, là où se poursuivra sa mission.
Avec le crépuscule, une brume épaisse s’est abattue sur la vallée et sa traversée s’annonce assez périlleuse : des ronces et de hautes herbes ont entamé la route, dont le macadam semble éventré et rongé par la nature. Le groupe doit encore marcher au moins une heure avant d’accéder à l’entrée de la forêt, indiquée sur les cartes et les plans d’Hàxor. Il n’est surtout pas question de s’attarder dans la vallée, réputée tout aussi dangereuse que la forêt elle-même. Excédés par les allées et venues, des riverains partent souvent à la chasse aux visiteurs trop curieux. Certains, paraît-il, ont disparu avant même d’avoir pu entamer l’expédition.
Des études ont recensé quatre raisons de vouloir rejoindre la Forêt de Werther. La première est la passion : la personne décide de mourir pour un amour non consommé ou pour en finir avec une histoire non digérée et indépassable ; la deuxième est le désespoir : un mécanisme de l’existence n’a pas été compris et a détruit la personne, sans qu’elle ne goût aux fruits de ses efforts, la souffrance qui en découle rendant ainsi sa vie insupportable ; la punition infligée est la troisième cause : quelqu’un cherche à se débarrasser d’un tiers, soit pour des raisons crapuleuses soit par vengeance personnelle, parfois même des injustices ; la pure curiosité constitue la dernière Raison : la Forêt de Werther, de plus en plus connue des influenceurs, fait le buzz sur les réseaux sociaux ; le risque d’y mourir est si grand qu’elle suscite des défis de plus en plus dangereux.
Une fois parvenu à destination, inutile de vouloir communiquer : il n’y a aucun réseau. Tout appareil électronique si voué inéluctablement à un bug, à cause de l’humidité et des interférences – idem pour les boussoles qui perdent le nord – à • anse de la roche volcanique présente partout.
À partir d’un ponton en bois massif scellé à la roche, les visiteurs doivent s’attacher à une sorte de fil d’Ariane en plastique ou à des cordes fixées sur les premiers arbres – des liens pouvant atteindre des dizaines de mètres. Ils peuvent alors se lu .scr descendre et s’enfoncer jusqu’au fond de la forêt. D’autres débarquent équipés de matériel d’escalade professionnel, tant la pente est réputée raide et glissante.
On raconte que la nuit se produisent des phénomènes paranormaux, des meurtres et des atrocités que personne n’a pu iha rire. Les rares survivants ont traversé de telles expériences piol ondes qu’aucun n’est jamais rentré sans séquelles. Ni photos m vidéos n’ont jamais pu être captées des étranges situations Hiicontrées.
Après une marche éprouvante, les filles repèrent enfin le point de la forêt. La nuit est déjà bien entamée ; fort curieusement, le site est vide. L’équipe dépose son lourd attirail m le ponton. Selon les instructions, seules Angie et Regina sont les seuls à emprunter le chemin qui mène à la clairière en contrebas. Après cent cinquante mètres de descente, elles devraient parvenir à une seconde plateforme. Puis, encore plus bas, une piste indiquera quatre voies. C’est là qu’Angie a pour ordre de laisser Regina.
— OK, les filles ! Je vais m’encorder à elle et nous commencerons la descente. S’il se passe quoi que ce soit, je tire trois fois et vous nous remontez ! C’est bon pour vous ?
— Ça marche ! dit Flo. Mais elle n’est pas censée remonter, cette morue ! On fait quoi en cas de blême ? On descend t’aider et on la pousse encore ?
Les autres ricanent.
— Ça ira, Flo ! Quoiqu’il arrive, je vais gérer.
Angie serre son harnais et le fixe à celui de Regina, qui transpire déjà et ne peut s’empêcher de murmurer des injures.
« Quant à toi, ma sœur, tiens-toi prête et avance d’un pas s’il te plaît ! As-tu quelque chose de particulier à dire avant le grand saut ou à regretter ? C’est le moment. »
— Je suis incapable de penser, là maintenant ! Vous me dégoûtez toutes, c’est tout ! Vous n’avez aucune pitié !
— Pitié pour quelle raison ? rappelle Lulu. Non seulement t’as foutu la honte à Angie, mais en plus on risque notre vie pour toi !
— Comme tu voudras, Regina coupe Angie. Nous devons y aller maintenant.
Sans un dernier regard vers les trois Sukeban positionnées dans son dos, Angie donne le coup de pied de départ. Elles s’engagent alors vers le néant, munies chacune d’une puissante lampe frontale qui donne une petite visibilité de trente mètres, mais peu efficace sous la dense frondaison.
S’enfonçant de plus en plus dans l’obscurité, le froid glacial commence à envahir l’extrémité de leurs membres, jusqu’à leurs oreilles. Equipée de gants solides, Angie gère la corde qui défile
.1 vive allure, alors que Regina perd totalement le contrôle, espérant encore une absolution du Dieu imaginaire qu’elle s’est inventée toute sa vie, ou peut-être une mauvaise blague qui débouchera sur des rires entre copines.
L’atterrissage sur la seconde plateforme est rude, amorti par un sol spongieux. Les deux femmes ont roulé ensemble dans le lichen et les fougères. Elles restent quelques secondes recroquevillées, à tenter de reprendre leur souffle.
Angie, écoute-moi, murmure péniblement Regina, le conseil pense que je suis folle et inutile ! Ils m’ont traitée presque de prostituée, à cause de la façon dont je vis, des choix que j’ai fait, de ce que je pense. Je n’aurais jamais dû refuser de passer au test. Ils savaient tout, tu m’avais avertie. Je ne peux plus rien faire d’autre que de m’excuser !
Arrête de parler, s’il te plaît. Nous ne devons pas nous attarder ici, nous devons reprendre la route. Regarde où tu poses 1es pieds surtout, si tu ne restes pas concentrée, on va se casser la gueule !
On en a pour combien de temps encore ? Que va-t-il se passer après ? C’est inhumain ce que vous faites ! J’ai toujours I h usé que tu avais de l’empathie, mais c’est faux ! Tu m’envoies clairement à l’abattoir !
N’essaie pas de me culpabiliser. Le Conseil t’a laissé une chance de t’en sortir, ce n’est pas rien ! Une fois arrivées en bas, ni verras, il y a quatre chemins possibles. Tu te rappelles ।‘histoire de la Montagne des Sept Merveilles? Ne fais pas l’innocente ! A toi de te rappeler quelle voie emprunter, réfléchi bien, c’est un carrefour décisif : la vie ou la mort… À ta place, je prendrais ça comme une opportunité. Compte sur ton intuition, c’est ce que je t’ai toujours appris ! Et ne me vois pas comme une espèce de bourreau, plutôt comme ton gardien.
— T’es complètement cinglée ! Et puis, tu as bien l’air en accord avec la sentence qui m’est infligée… Oh mon Dieu, mais comment vais-je faire pour rester en vie ici ?
— Tais-toi donc ! Tu n’assumes rien ! Je pensais que tu saisirais cette chance, mais je me suis trompée. Et continue à descendre s’il te plaît, tu nous ralentis avec tes questions. Rappelle-toi juste : si tu trouves le bon chemin parmi les quatre, tu déboucheras sur les Sept Merveilles. À toi de voir ce que tu y trouveras !